Cet article se propose d'étudier le rôle de l'utilisation de l'iode radioactif dans la transformation du domaine médical de l'endocrinologie thyroïdienne en France après la Libération. Jusque dans les années 1940, chacune des disciplines qui s'intéressent à l'étude de la glande thyroïde développe sa propre approche : la clinique des maladies thyroïdiennes côtoie la recherche fondamentale universitaire centrée sur l'histophysiologie de la glande. Au début des années 1950, le développement de l'utilisation médicale de l'iode radioactif par de jeunes biophysiciens hospitaliers a conduit à l'élaboration de nouveaux outils qui ont permis aux pédiatres de renouveler l'étude des formes familiales de goitre. Grâce à l'exploration in vivo de la capacité de fixation thyroïdienne de l'iode, ils ont pu suspecter des erreurs innées du métabolisme que les biochimistes ont traduites en termes de synthèse hormonale par l'analyse radiochromatographique in vitro de fragments biopsiques et de prélèvements sanguins. Ce renouveau des études métaboliques thyroïdiennes est marqué par le parcours scientifique de Jean Roche (1901-1992) qui, chargé de relancer la biochimie française à la Libération, a développé, à partir de 1947 dans son laboratoire du Collège de France, un programme de recherche axé sur la mise en évidence de nouvelles hormones thyroïdiennes. L'équipe de Roche s'est alors ouverte aux préoccupations des médecins hospitaliers soucieux de renouveler le savoir médical sur les maladies thyroïdiennes. De leur côté, les médecins ont compris l'enjeu que représentait la vérification chez l'homme du devenir périphérique des hormones que proposaient les biochimistes. Cette double démarche a favorisé l'émergence en France d'une médecine de recherche, plus communément appelée biomédecine. Il s'agit ici d'analyser les rôles respectifs d'une innovation méthodologique -- l'utilisation de l'iode radioactif -- du renouveau des disciplines -- endocrinologie clinique et biochimie -- dans la transformation des pratiques de l'endocrinologie thyroïdienne après la seconde guerre mondiale. Mais il faut d'abord tracer le tableau de cette spécialité en 1940.