IntroductionEn médecine stratifiée, l’identification de marqueurs pronostiques de la survenue d’un événement d’intérêt est primordiale pour la mise en place de stratégies thérapeutiques adaptées. Mais leur utilisation est conditionnée par l’identification de valeurs seuils pour stratifier les patients en fonction de leur risque. Ces seuils sont souvent obtenus à partir d’indicateurs purement statistiques, tel que l’index de Youden, qui ne tiennent pas compte des préférences individuelles associées aux différents états de santé possibles faisant suite à une décision médicale. Nous proposons ici une alternative pratique s’appuyant sur certains outils des théories de la décision.MéthodeNous adaptons la formulation de l’utilité espérée liée à l’utilisation d’un test diagnostique au contexte du pronostic à long terme pour lequel il est nécessaire de prendre en considération la censure à droite. Cette fonction d’utilité espérée dépendante du temps repose sur la combinaison de l’estimation des probabilités jointes du marqueur et du temps de survenue de l’événement avec les QALYs (« Quality-Adjusted Life Years ») associés aux différents résultats de santé possibles. Les QALYs correspondent à une somme d’années de vie pondérée par l’utilité des états de santé associés, l’utilité désignant une mesure de l’intensité des préférences pour un état de santé comprise entre 0 (mort) et 1 (parfaite santé). Les QALYs sont donc des mesures dépendantes du temps qui permettent d’évaluer la valeur relative pour les individus des conséquences d’une décision médicale sur une période de temps donnée. Le seuil de discrimination optimal est obtenu par maximisation de l’utilité espérée. L’approche proposée est implémentée dans le package R ROCt qui a été mis à jour (version 0.9).RésultatsL’approche est illustrée au travers d’un exemple en transplantation rénale dont l’objectif était d’identifier le seuil optimal du KTFS (« Kidney Transplant Failure Score »), score pronostique d’un retour en dialyse, dans l’objectif d’adapter la fréquence du suivi des patients transplantés après leur première année de greffe. Malgré de bonnes capacités pronostiques (pour un pronostic à huit ans post-greffe, AUC de la courbe ROC = 0,78), nous montrons que ce score ne permet pas une prise de décision médicale utile pour le patient.ConclusionLes mesures de préférences individuelles pour des états de santé sont de plus en plus répandues dans la littérature médicale. Ainsi, l’approche proposée apparaît utilisable dans de nombreuses situations sans avoir à estimer directement ces mesures de préférences. L’index de Youden et l’approche proposée peuvent conduire à des seuils de discrimination différents. Cela conforte l’idée selon laquelle des décisions médicales inacceptables pour les patients pourraient être prises à partir d’approches purement statistiques, sans considération des préférences individuelles. Nous proposons une approche concrète pour une aide à la prise de décision médicale à partir d’une approche issue des théories de la décision traitant explicitement des caractéristiques dépendantes du temps d’un marqueur pronostique ainsi que des préférences individuelles associées à des états de santé.