Selon l’interprétation traditionnelle, La vie criminelle d’Archibald de la Cruz (1955) est l’histoire d’un homme qui croit être un meurtrier alors qu’en vérité il n’a que des fantasmes d’assassinat, qui confond les rêves et la réalité. C’est pourquoi ce film est censé être une sorte d’hymne à la liberté individuelle. Un peu comme le marquis de Sade, Archibald de la Cruz n’aurait rien fait d’autre que vivre dans un monde imaginaire dans lequel tout est possible. Un monde qu’aucun régime démocratique ne devrait limiter.Mon but est ici de revenir sur cette interprétation traditionnelle pour essayer de montrer que, loin d’avoir fait les louanges de la liberté de fantasmer, Buñuel transforme en problème politique les frontières entre rêve et réalité. Il nous explique que ces frontières ne sont pas naturelles mais construites par le droit. Qui plus est, il essaye de nous montrer que le fonctionnement de ces dernières est plus proche de la magie que des procédures rationnelles. Buñuel continue de cette manière la longue réflexion sur la justice pénale démocratique qu’inaugure Edgar Allan Poe lorsqu’il invente le récit policier. J’essayerai de montrer très brièvement comment il s’inscrit avec ce film dans cette longue tradition critique.