Un phénomène paradoxal s’observe depuis quelque temps sur les réseaux sociaux, consistant à partager des photos instantanées de ses activités solitaires et à exprimer la joie profonde que l’on trouve dans la solitude : la publicité de la joie dans la solitude annihile la possibilité même de cette solitude. Nous nous proposons de mettre en évidence ce que recèle cette attitude de « présenter la joie de la solitude en public ». Nous analysons ce phénomène à l’aide de la distinction d’Arendt entre solitude (solitude) et désolation (loneliness), en l’articulant à la notion de désespoir de Kierkegaard. Nous suggérons que la joie de la solitude affirmée en public est en fait l’expression du désespoir de la désolation et reflète une aspiration tacite à l’être-ensemble. Une telle aspiration peut être appréhendée comme un symptôme de l’absence d’un nouveau mode d’entre-deux au XXIe siècle, alors même que la possibilité d’un tel entre-deux est un prérequis du politique – compris comme condition humaine de l’action – pour Arendt. Ainsi, le désespoir sous-tendant le phénomène paradoxal étudié peut être ramené à un symptôme de manque d’orientation émancipatrice et à l’aspiration à un nouveau mode d’entre-deux émergeant au sein même du monde désert de la « jouissance de soi ».