Le 27 avril 2011, le Conseil d’État a accordé un certain statut juridique aux Recommandations de bonne pratique (RBP) de la Haute Autorité de santé (HAS) en considérant que celles-ci « doivent être regardées comme des décisions faisant grief susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ». Le juge est arrivé à cette conclusion par un raisonnement quasi syllogistique : si le code de déontologie oblige les médecins à soigner selon les données acquises de la science et si les RBP de la HAS reflètent « notamment » ces mêmes données, alors, pour prendre en charge un patient, il convient d’appliquer ces RBP telles qu’émises par la HAS. Bien que la responsabilité médicale ne soit pas engagée dans cette affaire, il convient de s’interroger sur les retombées de cet arrêt pour les professionnels de santé. Cet arrêt pose un certain nombre de problèmes pour la pratique médicale quotidienne. Par exemple, les référentiels concernant la prise en charge des cancers du sein hormonodépendants sont nombreux. En France, la HAS et l’Institut national du cancer (INCa) ont édité un guideAffection de longue durée (ALD)sur le cancer du sein en janvier 2010. À ce référentiel national s’ajoutent les guides édités par les réseaux régionaux de cancérologie (RRC). Les conférences de consensus de Nice Saint-Paul-de-Vence et de Saint-Gallen (Suisse) publient également des avis. Aux États-Unis, leNational Comprehensive Cancer Network(NCCN) et l’American Society of Clinical Oncology(ASCO), et en Europe, l’European Society of Medical Oncology(ESMO) émettent des recommandations. Les RBP de la HAS sont donc loin d’être la seule source d’informations pour les cliniciens et ces différents documents se contredisent parfois entre eux. De plus, ceux-ci peuvent rapidement devenir obsolètes, ce qui limite encore leur pertinence. Pourtant, dans l’esprit du juge, tout se passe comme si les données acquises de la science représentaient un ensemble de données homogènes et objectives, non sujettes à interprétation. Or, la connaissance de la pratique montre qu’il n’en est rien. La vision qu’a le juge de cette notion semble peu appropriée à la technicité et la complexité de la pratique quotidienne. Après une analyse juridique de la décision du Conseil d’État, nous étudierons les conséquences potentielles que cette décision peut engendrer en prenant l’exemple de l’hormonothérapie des cancers du sein.