Chapitre 1. Biotechnologies : la vie en morceaux et l'éthique en péril
Auteurs : Pouteau S1Avec l’essor des biotechnologies, le vivant-machine qui n’était jusqu’alors qu’une hypothèse scientifique devient une réalité qui s’impose comme norme sociale et morale. A l’instar d’une machine, le vivant serait une commodité dénuée de fin en soi (valeur intrinsèque) et réductible à l’agencement complexe de pièces détachées (et détachables) en vue d’une fonction, au moins marchande. Cette vision compatible avec la quête de nouveaux débouchés économiques n’a d’autre justification que la valeur accordée à la science. Cette autorité lui vient, avant toute adhésion populaire, du fait qu’elle s’est elle-même instituée comme un ordre de principe, devenant ainsi une citadelle imprenable. De fait, la science moderne fonde son autonomie et son pouvoir sur la réfutation du sentiment (perception du sujet) alors que c’est justement dans le sentiment que l’impulsion éthique trouve ses principes directeurs. Par son adoption d’une objectivité opératoire (action causale dans l’expérimentation), aujourd’hui devenue sa raison d’être dans la poursuite d’un bien (technologique), la science s’est définitivement approprié la fonction naturelle de l’éthique, en renonçant cependant à sa fonction propre. On ne s’étonnera donc pas que l’éthique se cantonne dans un registre esthétique et que l’expertise éthique, de plus en plus calquée sur le modèle scientifique, fasse peu de cas des considérations intrinsèques sur les biotechnologiques et ne tienne compte que de l’analyse conséquentielle et extrinsèque. On comprend aussi pourquoi la société civile revendique « un autre monde » : en dépit des verrous épistémologiques (principes) et commerciaux, le sentiment perceptif continue de nous instruire et nous transmettre une perception de l’intégrité du vivant. Ce sens commun d’une existence en soi cohérente et autonome recroise les plus récentes avancées cognitives sur les propriétés non-linéaires de l’émergence et l’auto-organisation biologiques : de fait, le vivant ne devient une machine qu’en situation morbide. L’adoption ou non d’une culture du vivant-machine n’est pas une question d’experts, mais un enjeu de civilisation. Resaisir notre identité de vivant requiert une vision partagée par l’exercice de facultés nouvelles. Dans cette entreprise, c’est à l’art, cette troisième composante constitutive de la vie culturelle avec la science et l’éthique, qu’il revient d’éduquer le sentiment dans sa dimension perceptive et cognitive pour permettre une nouvelle articulation des valeurs et des activités dans la société.